« Un héritage trop difficile à porter sans fortune »

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Le testament de Pierre de Cambis Alais d’Orsan, père de Marie-Thérèse Piérat

Après la publication sur ce site de l’article « Les mystères de famille de Marie-Thérèse Piérat » un lecteur nous a offert un document important. Ce document fournit une belle confirmation de notre hypothèse que Marie-Thérèse Piérat, l’épouse de Guirand de Scévola, était la fille du marquis Pierre de Cambis Alais d’Orsan.

Il s’agit d’un dépôt judiciaire, daté du 4 février 1893, du testament olographe, comprenant deux lettres du marquis de Cambis (fig. I). Quoique le nom d’Alice Panot, la mère de Marie-Thérèse, n’est pas indiqué, le nom de « Marie-Thérèse » y est mentionné plusieurs fois. Ce sont des textes pleins d’émotions, de remords, de reproches et d’amour frustré, écrits par un homme malade en face de sa mort.

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Fig. I. Fragment du testament de Pierre de Cambis

En 1891 Jacques Marie Melchior Pierre (« Pierre »), marquis de Cambis Alais d’Orsan (1845-1893), chef d’escadron de cavalerie du 21eme régiment de dragons, a été mis en non-activité « pour infirmités temporaires », comme le déclare ainsi le Journal Officiel du 16 juillet 1891 [1]. Quoi qu’il en soit, les infirmités du marquis n’apparaissaient pas tellement temporaires.

La première lettre du marquis est datée du 9 novembre, cependant sans indication de l’année. L’autre est datée du 4 octobre 1890. La lettre du 9 novembre indique la distribution de l’argenterie, des bijoux, des meubles et des tableaux et de quelques objets personnels, sans la mention d’une disposition financière.

En revanche, celle du 4 octobre 1890 contient la disposition de la succession de capitaux importants. Malgré l’incongruité des deux lettres, il semble que les dispositions respectives ont été envisagées comme complémentaires, tandis que la lettre du 9 novembre a probablement précédé celle du 4 octobre 1890, en conformité avec l’ordre des documents du dépôt judiciaire.

Les souffrances du marquis

Quelle était la nature des malheurs du marquis ?

Un article de presse indique une « maladie de cœur » comme la cause de décès du marquis [2]. C’est à dire une insuffisance cardiaque. Cependant, dans les deux lettres du marquis il n’est pas question d’accidents ou de maladies physiques, ni de médecins ou de médicaments. Plutôt on a l’impression d’une souffrance émotionnelle, d’un épuisement mental.

La lettre du 9 novembre notamment, en citant plusieurs fois le « pauvre cœur » et le « pauvre cœur malade », semble indiquer la souffrance mentale du marquis. Cette impression est confirmée par la lettre du 4 octobre 1890, dans laquelle le marquis déclare : « Je suis triste à mourir et je souffre ».

Sur les causes de cette situation douloureuse, la lettre du 9 novembre nous paraît révélatrice. Elle indique non seulement que les derniers temps le marquis a été exposé bien souvent à des difficultés matérielles financières. Surtout elle témoigne des problèmes relationnels de longue durée.

Le marquis déclare qu’il souffre cruellement de ne pas pourvoir laisser son nom à sa fille Marie-Thérèse à cause du manque de moyens financiers : « c’eut été un héritage trop difficile à porter sans fortune ». D’autre côté, il exprime ses remords à la mère de Marie-Thérèse, Alice Panot, qui n’a jamais voulu renoncer à son métier d’actrice de théâtre. Une remarque curieuse en vue de la « méfiance au théâtre » de l’actrice, comme l’a été remarqué par plusieurs auteurs [3]. De toute façon, les amants n’ont pas réussi a régler formellement leur relation amoureuse (figs. II et III).

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Fig. II. Fragment du testament de Pierre de Cambis
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Fig. III. Fragment du testament de Pierre de Cambis

Dans son testament le marquis demande à Mme Panot d’expliquer à Marie-Thérèse sa situation sociale et de lui demander de pardonner son père « ce qu’il y a d’irrégulier » (figs. II en III). Il la demande de lui dire de garder toujours un souvenir tendre de son pauvre père qui la chérissait du fond de son coeur et de lui dire de ne pas se dessaisir des souvenirs qu’elle recevra, sauf de l’argenterie qu’elle pourra vendre si elle se trouve un jour en besoin d’argent. Si Mme Panot voudrait se marier, le marquis lui demande d’être toujours aussi tendre – une mère – pour Marie-Thérèse et de veiller à ce qu’on ne rende pas malheureuse Marie-Thérèse si elle aurait d’autres enfants.

Finalement, le marquis pardonne Mme Panot « pour tout ce qu’elle fait du mal », surtout parce qu’elle est la mère de Marie-Thérèse et parce qu’il croit qu’au fond elle a de l’affection, malgré tout, aussi pour lui.

Le 4 février 1893 le marquis est décédé comme célibataire en son domicile, Boulevard Saint-Germain 236 [4].

Les dispositions testamentaires
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Fig. IV. Ex libris de Pierre de Cambis, avec son devise « Fidus et Audax »

Les dispositions testamentaires du marquis témoignent de son affection et de sa loyauté à l’égard de sa maîtresse et de sa fille.

À Mme Panot le marquis lègue sa petite bourse en or, sa bague qu’il a porté avec l’oeil de chat et les petits diamants, ainsi qu’une petite chaine achetée pour Mme Panot la première année quand ils se sont connus. Évidemment, pour le marquis s’étaient des objets liés à la mémoire de son grand amour [5].

En outre, dans les 15 jours qui suivront la mort du marquis, l’exécuteur testamentaire devra remettre à Mme Panot une somme de 15.000 francs, qui lui permettra de faire face aux besoins de l’année [6]. Plus important encore, avant l’expiration de l’année qui suivra la mort du marquis, l’exécuteur testamentaire devra lui payer une somme de 180.000 francs, qui, quand placé en valeurs boursières, devra rapporter environ 8.000 francs en rentes.

Marie-Thérèse recevra toute l’argenterie du marquis, sa bague en saphir, une de ses montres, le sabre avec lequel il a fait la guerre de 1870, ainsi que différents meubles et tableaux. De plus, la fille recevra une somme de 50.000 francs, qui lui sera versée à sa majorité et qui constituera sa dot, « grâce à laquelle elle pourra j’espère épouser un honnête homme », ainsi l’écrit le marquis. Il y ajoute qu’il désire qu’elle ne se marie pas avant l’âge de vingt-et-un ans. Jusqu’à cet âge là les intérêts de cette somme seront payés à cinq pour cent par les héritiers pour subvenir aux frais de l’éducation de la fille.

Le contrat de mariage entre Victor Lucien Guirand et Marie-Thérèse Piérat

Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas trouvé des documents qui nous informent sur le règlement de la succession du marquis Pierre de Cambis. Seulement, nous disposons du contrat de mariage entre Marie Panot, dite Marie-Thérèse Piérat et Victor Lucien Guirand, dit Guirand de Scévola du 23 janvier 1906 [7]. Dans ce contrat les futurs époux ont réglé la séparations des biens. Les apports du futur époux sont évalués à 1.000 francs, quoique les apports de Mlle Piérat forment un montant de 50.000 francs.

Les biens de l’épouse comprenaient : ses habits, son linge, ses hardes, ses dentelles et ses bijoux, parmi lesquels un rang de perles fines, une bague sertie de diamants et de perles, ainsi qu’une marquise diamants, des objets mobiliers et des pièces d’argenterie, l’ensemble étant évalué à 4.000 francs. Le reste de ses apports consistaient des actions en bourse et d’espèces. Il semble donc que Mme Alice Panot n’ait pas pu garder intégralement la dot de sa fille, comme fut réglé dans le testament du père défunt.

Les relations familiales
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Fig. V. Charles Pierre Marie de Cambis Alais d’Orsan, père de Pierre de Cambis

À défaut de sources, nous ne pouvons pas juger si les deux lettres du marquis de Cambis dévoilent toute la vérité de sa relation amoureuse avec Mme Alice Panot (figs. V et VI). En attendant, il ne semble pas aberrant d’imaginer que les familles de Cambis et des Isnards ont émis des réserves fortes quant à la possibilité d’un mariage formel d’un membre de leurs familles avec une actrice de théâtre.

Les deux familles d’ancienne noblesse de la Provence interalliées, connaissaient une forte tradition militaire, ainsi qu’une tradition vivante de mariages nobles, notamment dans la famille des Isnards.

En 1887, le marquis de Cambis et le comte des Isnards participèrent au « dîner du Roi René » au Grand Hôtel à Paris, exclusivement composé de représentants des plus anciennes et de plus illustres familles de la Provence [8].

En 1897, donc quatre années après le décès du marquis, son cousin Louis Marie Hélen, comte des Isnards, lieutenant au premier Régiment de Cuirassiers, fils de Charles Siffrein, marquis des Isnards et d’Anne-Françoise de Cambis Alais, la soeur du marquis Pierre de Cambis, a épousé Gersende Adolphine Renée Marie de Sabran-Pontevès, d’une famille d’ancienne noblesse (fig. VII).

Anne Françoise Joséphine Marguérite, marquise des Isnard née de Cambis Alais
Fig. VI. Anne Françoise Joséphine Marguérite de Cambis Alais, sœur de Pierre de Cambis

En l’absence de membres masculins vivants de la famille de Cambis au moment du décès de Pierre de Cambis, c’était probablement un membre de famille de la mère du marquis, donc de la famille des Isnards, qui aura agi comme l’exécuteur-testamentaire du testament du marquis.

Cependant, comme fut déjà remarqué, à défaut de sources nous ne savons pas si les deux familles ont effectivement poussé Pierre de Cambis à renoncer à « une mésaillance » avec l’actrice Alice Panot.

Quoi qu’il en soit, quelques articles de presse sur les obsèques de Marie-Thérèse Piérat semblent indiquer que jusqu’à un certain point la fille naturelle du marquis a été considérée par la famille des Isnards comme un membre de leur famille [9].

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Fig. VII. Louis Marie Hélen des Isnards, cousin de Pierre de Cambis

Pour Guirand de Scévola, le virtuose de « l’art aristocratique » du pastel [10], la descendance aristocratique de sa femme devait être fascinant. Ce sera le sujet d’un nouvel article sur ce site.

Rik Wassenaar, le 18 aôut 2018 / juillet 2019

Notes

[1] Journal Officiel, 16 juillet 1891, p. 3562.
[2] Le Figaro, 5 février 1893, p. 2.
[3] Voir : « Les mystères de famille de Marie-Thérèse Piérat ».
[4] Archives de Paris, État civil, Paris VIIème, Décès, No. 07 V4E 8613, 5 février 1893. Les funérailles eu lieu le 6 février 1693, voir : Idem, Pompes funèbres, 6 février 1893. Le 11 mars 1893 le marquis fut enterré au cimetière de Montmarte. Son corps fut exhumé le 1 septembre 2010 (Archives de Paris, Cimetières, Montmartre, 1890-1894, No. MTM_RA18901894_01, 11 mars 1893).
[5] La lettre du 9 novembre.
[6] Les disposition financières sont réglées dans la lettre du 4 octobre 1890.
[7] Chez Maître Albert Dubost, notaire à Paris.
[8] Parmi les autres participants, on remarqua le marquis de Forbin, le duc de Gadagne, le marquis de Pontèves-Sabran, le comte de Pontève, le comte de Sades, le marquis de Villeneuve-Esclapon, le marquis de Castellane-Norante, le comte de Laugier-Villars et le comte de Villeneuve. Voir : La Vie parisienne, 1 janvier 1887, p. 280.
[9] Voir : « Les mystères de famille de Marie-Thérèse Piérat », Le Petit Parisien, 1 juin 1934, p. 5 et Le Figaro, 1 juin 1934, p. 1.
[10] Ainsi l’a décrit Arsène Alexandre dans Le Figaro du 6 avril 1909.

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